L'histoire de H à E #2 Un borgne au pays des aveugles

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Dayan au Vietnam, un borgne au royaume des aveugles



N’ayant pas eu le temps d’écrire une « vraie » chronique, j’ai décidé de vous retranscrire un article parut dans le Guerre & Histoire N°32, un article de Martin Van Creveld. Une pointure du domaine. J’espère qu’il vous plaira. Cette histoire au allure de fable est saisisante et permet de discerner les faiblesses de l’armée américaine, encore visible aujourd’hui.


En 1966, Moshe Dayan qui a commandé en 1956 la campagne de Suez aux côtés des français et britanniques n’a pas grand-chose à faire, mis à part l’ennuyeux boulot de député à la Knesset. Mais un jour, le quotidien israélien lui propose de jouer les reporters au Vietnam, il saute sur cette occasion en or.
Dayan ne sachant rien du Vietnam, il souhaite se renseigner un peu sur la chose à Paris auprès de généraux avec qui il a combattu en 1956. Il leur demande leurs ressentis sur leurs commandements en Indochine. L’un deux dira que l’ennemi est insaisissable et que son voyage sera une perte de temps. Dayan répondra avec son style « il verra rien qu’il ne peut rien voir et que ce sera déjà instructif ». Ensuite il part retrouver Montgomery. Qui lui recommande de signaler de sa part aux Américains qu’ils sont fous [Note d’Iron ; n’y voyez pas une sorte de prescience de la part de notre bon vieux maréchal, il a toujours détesté les américains, car sa compétition avec Patton durant le dernier conflit n’est pas une légende].
À Washington, Dayan discute avec des officiers, des diplomates et membres du gouvernement. Il est impressionné par l’arrogance, ouvertement exprimée ou non, qui émane de la puissance américaine et des prouesses technologiques comme le monde n’en a alors jamais vu [Note d’Iron ; c’est un trait de caractère typique des militaires américains de croire que la technologie peut outrepasser toutes les difficultées du terrain. Leurs derniers conflits au Moyen-Orient en sont la preuve vivante]. Son avis est que tous les gens présents s’engagent à fond (l’american way of war) dans ce qu’ils font et travaillent dur. Mais sans savoir ou ils vont. Robert McNamara répond aux questions de Dayan sans le convaincre que la présence américaine diffère de celle des français et que l’Amérique à plus de chance de vaincre. Cela vient du fait que McNamara est lui aussi, sous la proie du doute. Raison de sa démission l’année suivante.

Moshe Dayan atterrit à Saigon le 25 juillet 1966. Il discute avec un physicien vietnamien qui lui dit confidentiellement car aller contre la ligne officielle est dangereux, que le Viêt-công est plus fort qu’on ne le pense. Puis avec le vice-Premier ministre et ministre de la défense et le chef d’état-major de l’armée du sud-vietnamienne. Qui vouent plus un culte à Vo Nguyên Giap, héros contre les français. Et espèrent qu’il forcera Hanoi à faire la paix.
Il embarque sur le Constellation, plus gros porte-avion de l’époque. Un navire qui expédie toutes les 90 minutes une vague d’avions pour « détruire » le Vietnam. Mais il note « les Américains ne se battent pas contre l’infiltration du Sud contre la guérilla […] mais contre le monde entier. Leur véritable but est de montrer à tous […] leur puissance et leur détermination de façon à faire passer le message : les Américains, où qu’ils aillent, sont irrésistibles. »
À Da Nang, Dayan se joint à une unité de Marines chargées de « gagner les cœurs et les âmes » [Note d’Iron ; slogan de David Galula, théoricien français de la décolonisation, apprécié Outre-Atlantique]. Mais il en retient que les américains font un peu n’importe comment. Les américains essaient d’apprendre aux paysans vietnamiens de nouvelles méthodes pour améliorer leurs rendements. Fermier et ministre de l’agriculture, il sait que changer des coutumes ancestrales est ardu. Comment y parvenir dans un pays déchiré ?

Moshe Dayan rend aussi visite à la First Cavalry Division. Tout juste formée, cette force est la plus moderne du monde, capable de fonctionner à des kilomètres de ses bases. La division n’a besoin que de quatre heures de préavis pour héliporter un bataillon à n’importe quel endroit à sa portée. Mais c’est quatre heures de trop. C’est d’ailleurs durant ce séjour que survient un incident. Voulant éviter qu’il lui arrive quelle que chose, on l’envoie dans un secteur « sûre », mais une fois au sol, ils se retrouvent sous le feu ennemie. Le capitaine se rendant compte que son protégé a disparu, rampe le chercher. Il est confortablement assis sur un monticule herbeux. Quand on lui demande ce qu’il fait « Et vous donc ? Rétorque Dayan.
Ramenez votre cul ici et regardez un peu comment ça se passe lui répond le capitaine. »
Dayan comprends que le problème vient du renseignement. On ignore toujours où se trouve précisément l’ennemi. On a beau bombarder avec l’artillerie, les hélicos et les B-52, le résultat n’est pas là. Les hommes du bataillon tombe sur une embuscade 30 minutes après l’atterrissage.

Mais où qu’il se rende, il est reçu avec courtoisie et possède les coudées plus ou moins franches pour observer et demander ce qu’il veut. Mais il note un défaut des haut gradés. Ils veulent avant tous voir leurs noms dans les médias, afin de faire avancer leurs carrières. Ce qui évidemment, n’en fait pas de meilleurs chefs. Mais il admire les hommes du rang, surtout les marines et les bérets verts. Des « types en or » bien entraînées et mettent tous leur cœur à l’ouvrage. Ils le trouvent d’ailleurs adorable, plein de charmes et adorent son humour sournois [Note de Iron ; comme moi en somme :)]. Mais il est surpris par les moyens mis en place. 1 700 hélicoptères, 21 000 obus pour une unique opération, comprenant qu’une seule compagnie d’infanterie sud-coréenne ; plus que les forces israéliennes n’en ont tiré lors des guerres de 1948 et 1956 combinées !
Mais rien ne fait. Un manque de renseignement ne peut être remplacé par 21 000 obus. La force américaine n’est qu’un marteau-pilon qui fait des trous dans le vide. Même en cas de succès, il serait difficile de voir les sud-vietnamiens capables de mettre en place un gouvernement viable à l’ombre de la machine qui les « protège » et dont nul ne sait si elle est vouée à rester dans le Sud-Est asiatique. Pour Dayan, les objectifs de la guerre qu’on lui a décrit – comme la défense de la démocratie et défendre la population – ne sont que de la propagande « enfantine ». Moshe Dayan quitte six semaines plus tard le pays convaincu que les choses ne vont pas si bien que ça. « Les Américains gagnent tous sauf la guerre ». L’offensive du Têt démontrera à quel point il eu raison.

L’avis d’Iron : Cet article nous montre bien les principaux défauts de la machine de guerre américaine. La croyance au « miracle technologique », le manque de renseignement et surtout, de but politique précis. Les Américains viennent au Vietnam surtout pour montrer leurs gros bras. La défense du pays n’importe guère. Mais ceci, est plus une lacune de la conception même que font les Américains de la guerre. Ils oublient ce qui fait le succès de l’Armée Rouge, l’art opératif. Théorisé par Svietchine. Mais ça, je vous en parlerai une autre fois.

Campagne de Suez : Pour lutter contre la nationalisation du Canal de Suez, les britanniques, français et israélien s’allient et s’empare du Canal. Une opération amphibie magnifique, mais succès diplomatique discutable, les deux blocs faisant pression pour exiger le retour des troupes présentes sur le Canal pour éviter une escalade.

Montgomery & Patton : Deux généraux de la seconde guerre mondial, rivaux depuis la campagne d’Afrique du Nord, se battant pour savoir qui ira le plus vite au niveau de l’avancée des troupes. Mais ils font malgré tous, partient des grands chefs du conflits.

Robert McNamara(1916-2009) : Brillant capitaine d’industrie (il remet Ford sur pied après guerre), il devient secrétaire à la défense de John Kennedy et gère la crise des missiles. Puis sous Lyndon il engage l’armée au Vietnam. Il démissionne en 1968 en comprenant son erreur puis devient président de la Banque mondiale jusqu’en 1981.

Viêt-công : Terme désignant les combattants du Nord.

First Cavalry Division : Unitée aéromobile combinée fondée en 1965 sur les traditions de la cavalerie et de l’infanterie. Dotée de 400 hélicoptères de tous types, elle encadre 15 000 hommes et associe infanterie, artillerie, logistique et fonctions de support et de soutien.
l'avis de Dark : j'admire la passion d'Iron mais je ne suis pas un immense fan d'histoire ^^'
Très beau travail Iron, j'adore égallement l'histoire et mais n'écrit que très peu dessus ^^ (je préfère créer des univers ou écrire à la TAA ;) )

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